"Connecter le monde universitaire aux professionnels du sport"

mercredi 10 février 2016

Reverse Periodization

Vous êtes fatigué de courir des heures dans le froid en hiver pour finalement ne pas obtenir de gains significatifs en compétition ? La reverse periodization est la solution pour optimiser votre préparation. Cette stratégie se répand de plus en plus chez les athlètes et possède pour solide représentant le cycliste Bradley Wiggins qui procéda ainsi en 2012. Cet article va remettre en cause la planification d'une périodisation classique misant sur des gros volumes d'entraînement associés à des intensités faibles.
Notre argumentation portera ensuite sur l'efficacité d'une période focalisée sur du travail intense et spécifique. Non à la Périodisation hivernale « classique » Pour de nombreux sportifs spécialistes de triathlon, de natation, ou de cyclisme, on associe généralement l'hiver à de longues sorties en vélo ou bien en course à pied. Le terme couramment employé est « préparation foncière hivernale ». On privilégie des efforts longs combinés à des intensités faibles. Ces séances ne sont pas les plus motivantes à cause des températures et un temps d'ensoleillement limité. C'est la périodisation classique (Issurin, 2010). Cette méthode apparaît dans les années 60 et fût développée par des sportifs de haut niveau de l'ex- URSS (Issurin, 2010). Le concept a été publié dans de nombreux pays et cela s'en ressent dans la programmation des séances. Il s'agit d'un outil permettant au coach de structurer son plan d'entraînement en différents cycles tout en tenant compte des prochaines échéances sportives. Cette pratique est largement pratiquants et à tous les niveaux. Lors du premier cycle, les athlètes vont poser les fondations de leur base aérobie avec du travail long à de basses intensités (Marshall, 2004). Un second cycle sera axé sur des exercices aux seuils pour ensuite multiplier les séances de vitesse et de puissance (Marshall, 2004). On termine avec une phase d'affûtage quelques jours avant la compétition (Marshall, 2004). L'affûtage correspond à une réduction exponentielle et non-linéaire de la charge d'entraînement. Cette planification semble bien séduisante, elle permet entre autre de développer la capacité aérobie, la coordination générale, l'endurance de force ou encore la force musculaire à travers plusieurs cycles (Bompa, 1999). On obtient également des adaptations psychologiques (motivation, confiance en soi...) pour des athlètes de niveau faible à moyen (Marshall, 2004). Les adeptes de cette planification vont très certainement vous dire qu'elle leur permet d'avoir de la « bouteille » ou bien «de la caisse » alors que ce n'est pas toujours le cas et nous allons le démontrer. Présentation des limites d'une périodisation classique En axant uniquement son travail sur de l'endurance et de la technique, tout en négligeant la vitesse et la force, le sportif trouvera rapidement un rythme de croisière dont il sera compliqué d'en sortir. On relève une perte de force provoquant une détérioration de la puissance et de l'explosivité (Issurin, 2010). On ajoute à cela des problèmes pour changer de rythme plus une diminution de la VO2max (Issurin, 2010). Un nageur présentera des difficultés à travailler à des vitesses soutenues. Un coureur habitué à courir à des allures lentes verra sa technique de course se dégrader lorsqu'il s'agira d'accélérer. Cela va impacter négativement sur l'économie de course. Pour un cycliste ayant fait l'impasse sur un travail de force, le manque de puissance se fera sentir lors des séries intensives. La préparation foncière va habituer l'organisme à fonctionner à des fréquences cardiaques basses, ce qui explique en partie le fait que l'on n'arrive pas à tenir la distance lors des premières compétitions. Le coureur n'est pas préparé à maintenir des grosses intensités d'effort dans le temps. La première idée qui vient rapidement à l'esprit est de rajouter des sorties longues dans la semaine afin de tenir la distance, mais c'est en ajoutant du travail spécifique lors des entraînement que les gains en compétition deviendront significatifs (King, 2000). Autre facteur déterminant laissé de côté: la VO2max. Celle-ci est développée à partir d'efforts à de très hautes intensités, qui ne sont pas favorisées avec une périodisation classique. Avec des fréquences et des volumes d'entraînement importants, cette stratégie instaure une accumulation de fatigue provoquant une faible capacité de récupération (King, 2000), surtout lorsque l'on attaque les séances intensives. Dernière limite : l'incompatibilité entre cette périodisation et l'obtention de plusieurs pics de performance au cours d'une saison (Hawley & Burke, 1998). Un entraîneur qui programme un ou deux macrocycles dans son plan d'entraînement sur une année, n’obtiendra qu'un, ou deux pics de performance de la part de l’athlète. Cela est bien trop faible pour des sportifs souhaitant répéter les performances. L'application d'une périodisation classique n'est pas le choix le plus intéressant même pour des disciplines peu intenses (Ironman, Ski de fond...) (King, 2000). Avec l'expérience, l'athlète a déjà construit une solide base aérobie, la reprise sera donc synonyme de travail qualitatif. Une Solution : la Reverse Periodization La mise à jour des connaissances sur l'activité physique fût lancée par de nombreux entraîneurs de haut niveau dans les années 1980 (Issurin, 2010). Elle a été aidée avec l'augmentation du nombre de compétitions, le partage des connaissances lors de colloques ainsi que le développement d'outils d'aide à la performance. Tout cela a permis d'améliorer la méthodologie de l'entraînement. Ce sont les sportifs de l'Allemagne de l'Est qui ont rapidement compris l'importance de planifier des exercices intenses sur de courtes distances. Ian King, préparateur physique australien, propose une alternative : la reverse periodization. La « reverse », met principalement l'accent sur l'intensité lors de la pré-saison. Cette stratégie s'applique pour toutes les disciplines touchant de près ou de loin à l'endurance. Pour Ian King, le facteur clé pour améliorer son « potentiel aérobie» est l'intensité.

La consigne est de placer très tôt l'athlète dans des efforts intenses sur de courtes durées. L'organisme doit dès le départ, intégrer des schémas moteurs associés à des vitesses d'exécution importantes. Progressivement, les volumes d'entraînement vont augmenter tout en conservant un bon niveau de stimulation Pour faire simple, si je dois performer à un certain niveau d'intensité, je commence à fournir des efforts à ce niveau d'intensité sur de courtes distances pour ensuite les augmenter. Ian King identifie quatre blocs de la reverse periodization : 1er bloc : On commence par un travail de Puissance Maximale Aérobie (PMA) à VO2max (5 à 7 minutes d'effort à PMA) ainsi que des efforts très intenses axés sur la capacité anaérobie (30 secondes à 1 minute). 2e bloc : Les exercices vont cibler la capacité aérobie en s'entraînant au seuil lactique (8 à 20 minutes). L'intérêt est de pouvoir supporter un taux de lactate élevé dans l'organisme pendant l'effort. 3e bloc : On ajoute ensuite des séances d'endurance pour travailler à des allures inférieures à celles en compétition et sur de longues distances (2 à 3 heures). Il s'agit de maintenir une bonne condition physique générale et d'apporter certaines adaptations physiologiques dont la vascularisation. On attaque à nouveau des sessions pour la capacité aérobie avec des vitesses en dessous du seuil lactique. On place également des séances de puissance anaérobie (6 à 10 secondes) dont il ne faut pas hésiter à répéter tout au long du programme. 4e bloc : En fin de saison, on retrouve les blocs de départ avec du travail de PMA, VO2max, et de capacité anaérobie en additionnant des efforts au seuil lactique. Ce dernier cycle peut-être aussi bien réalisé avant une compétition ou bien juste après. En appliquant ces blocs, les sportifs sont en mesure d'obtenir plusieurs pics de performance sur la saison. Ce fût le cas en 2012 pour Bradley Wiggins, si bien que les gens annonçaient à l'avance : « Wiggins est en grande forme bien trop tôt ». Wiggins remporta le Tour de France et les JO de Londres. Le scénario aurait été bien différent avec une périodisation classique. Et pour les sports collectifs et de combats? Il est facilement concevable que l'endurance soit un déterminant de la performance dans les sports collectifs. Un match de football dure au minimum 90 minutes, un match de rugby 80 minutes et 60 minutes pour du handball et du hockey sur glace et un combat de boxe peut durer plus d'une demi- heure. A cela on ajoute un nombre incalculable d'actions motrices (sprint, saut, tirs...). Ces activités sont marquées par les nombreux temps d'arrêt et donc par leur caractère d'efforts intermittents. Il n'est donc pas très spécifique de courir longtemps à des allures très faibles. Mais pourtant cela ressemble bien à une préparation générale d'avant saison.

Ainsi, Ian King estime que la reverse periodization est tout aussi efficace pour ces disciplines. La préparation démarre avec des efforts courts mais très intenses pour travailler la puissance anaérobie. On passe ensuite à des efforts au seuil lactique, permettant de recycler efficacement le surplus de production lactate dans l'organisme. Puis on termine par des ateliers sollicitant la puissance et la capacité aérobie. Notion d'un travail « Qualitatif » On assimile régulièrement le volume et l'intensité de travail comme paramètres essentiels de l'entraînement. La règle à retenir est de ne pas augmenter ni de diminuer en même temps ces deux variables. Pour des athlètes avec une vie familiale et professionnelle bien remplies, il est difficile d'augmenter le volume et la fréquence des séances, en revanche on peut modifier et varier à volonté les situations à l'entraînement. L'intensité est présentée comme un facteur clé d'une bonne reverse periodization, néanmoins, l'aspect « qualitatif » d'un exercice est essentiel, de manière à optimiser ses heures d'entraînement. Il faut se rapprocher au mieux des contraintes et des conditions rencontrées lors de la compétition. Qu'entendons-nous par travail « qualitatif ». En plus de prendre un temps de réflexion sur la charge d'entraînement, entraîneurs et athlètes doivent se pencher sur les thèmes qui sont abordés à l'entraînement. Il faut se questionner sur les différentes actions motrices de la discipline, les filières énergétiques sollicitées et les qualités requises. C'est sur ce dernier point que nous allons nous focaliser. On prend pour exemple la natation, le vélo et la course à pied pour présenter 4 qualités majeures : − l'endurance : Il s'agit de poursuivre un effort dans un laps de temps relativement conséquent. On l'associe couramment aux sorties longues en vélo ou en course à pied. L'intensité de ces efforts est faible, il est donc préférable de ne pas s'infliger de telles séances de manière excessive. − La résistance : Elle est perçue comme étant la capacité à tenir une intensité d'effort élevée malgré un état de fatigue bien avancé. On évoque la possibilité de résister à un stress physiologique important tout en limitant les dégâts. Il est intéressant de répéter des efforts à des vitesses spécifiques (allure de course, allure au seuil anaérobie, travail à des pourcentages de VMA, travail en situation de fatigue...). − La vitesse : Voilà une qualité pouvant englober de nombreux critères et présentant un choix infini d'exercices. La variété des consignes permettent de perfectionner sa vitesse de base, sa coordination motrice et l'endurance de vitesse. Il est important de développer une bonne vitesse de base très tôt dans la saison. − La technique : Un facteur essentiel pour de très nombreuses disciplines. En intégrant rapidement la technique spécifique d'une discipline, on améliore son économie de mouvement tout en limitant le coût énergétique. Pour illustrer, une foulée de course qui rase le sol pour un marathonien, permet une économie de mouvement diminuant la dépense énergétique pour une vitesse de déplacement identique. Pour des disciplines techniques telle que la natation, les éducatifs sont à privilégier (oxygénation, placement de la tête, attaque du bras...) Attention! On ne néglige pas pour autant l'importance du volume de travail pour performer, mais comme l'évoque Red Holzman, ancien coach NBA: « l'entraînement ne rend pas parfait, c'est la perfection à l'entraînement qui le permet ». L'optimisation du temps de travail et la variété/spécificité des situations vont engendrer une progression significative dans une activité donnée. Pour conclure Les saisons s'enchaînent et se ressemblent, et les progrès se font attendre. Cet article a pour but de dévoiler les limites d'une approche classique de la pré-saison promouvant de longues heures ennuyeuses à courir pour ensuite aborder des séances plus intenses à l'approche des compétitions. Elle peut s'avérer efficace dans les premiers mois pour des athlètes novices ou désentraînés. On (ré)habitue l'organisme à fonctionner lors d'efforts longs avec toutes les adaptations qu'ils amènent (physiologiques, biomécaniques, psychologiques...). La « reverse » sera parfaite pour des sportifs avertis qui souhaitent progresser en compétition. Comme le résume bien l'entraîneur canadien de sprinters Charlie Francis: « Si l'objectif est de courir 9,8 secondes au 100m, on va d'abord mesurer la distance que l'athlète peut parcourir en 9,8 secondes plutôt que de voir son temps sur 100m. Puis on va juste travailler sur des distances de plus en plus longues pour se rapprocher des 9,8 secondes au 100m ». Nous ne cherchons pas à irradier complètement la période foncière hivernale de tous les carnets d'entraînement, il est plutôt question de proposer une toute autre stratégie aux nombreux athlètes à la recherche de nouvelles méthodes d'entraînement. Einstein évoque la folie comme étant : « Faire la même chose encore et encore et s'attendre à des résultats différents». Il est peut-être temps de tester la reverse periodization pour mener à bien les ambitions affichées pour la saison. Bibliographie - Bompa, T. Periodization : Theory and Methodology of Training (4th Edition). Champaign, Illinois : Human Kinetics (1999) - Francis, C. Speed Trap: Inside the Biggest Scandal in Olympic History. Grafton Books (1991) - Hawley, J. & Burke, L. Peak Performance: training and nutritional strategies for sport. Allen & Unwin (1998). - Issurin, V. New Horizons for the Methodology and Physiology of Training Periodization. (2010). Sports Med. 40 (3):189-206 - King, I. Foundation of Physical Preparation. King Sports Publishing (2000) - Marshall, J. Peak Performance: 198 (June) (2004) Recommandations - Une périodisation classique reste intéressante pour les athlètes débutants et ceux qui reviennent d'une longue période d'inactivité, pour obtenir une solide condition physique dans un premier temps. - Les sportifs expérimentés et dotés d'une bonne base aérobie vont pouvoir profiter de la « reverse », elle sera d'autant plus rentable si la vitesse est déterminante lors de la compétition. - Pour une bonne « reverse », commencez votre pré-saison par des séances axées sur la puissance (intensité) pour ensuite vous diriger vers du travail de capacité (volume). - N'oubliez pas l'aspect qualitatif de l'entraînement. Questionnez-vous sur les actions motrices, les demandes énergétiques, les contraintes mécaniques et les différentes allures de course lors de la compétition pour intégrer et maîtriser ces notions lors des séances.

Article écrit par Gaborit Guillaume

Bien que sa passion reste le basket-ball après 8 ans de pratique en club, Guillaume se dirigea vers le triathlon pour élargir ses connaissances sur l'entraînement. Depuis deux ans, il travaille en collaboration avec des triathlètes de niveau régional sur l'affûtage pré-compétitif et la répartition de la charge d'entraînement. Pour la suite, Guillaume envisage d'être préparateur physique.

Mail : gaborit.guillaume.85@gmail.com

2 commentaires: